
Avec une très faible marge d’erreur, on pourrait dire que peu de groupes humains dans le monde ont réussi à développer, aussi paradoxalement que cela puisse paraître, autant de compétences pour créer, entretenir et multiplier leurs biens matériels, que celles exposées par l’élite des affaires haïtiennes. À en juger par les faits, les anciens et les jeunes entrepreneurs de chez nous sont très habiles dans l’art de multiplier leurs richesses. Comme les politiciens, pour atteindre certains objectifs, ils utilisent tous les raccourcis à leur disposition et pratiquent continuellement la formule machiavélique selon laquelle la fin justifie les moyens.
Il n’est pas nécessaire de consulter en profondeur les réflexions bien systématisées de l’économiste Thomas Piketty sur le capital au XXIe siècle, pour comprendre que derrière, au milieu et devant les richesses matérielles dont jouit et expose l’élite patronale haïtienne, il y a des mouvements pervers délibérés qui sont soigneusement couverts du manteau de l’impunité et de la complicité des dirigeants politiques et sociaux. La classe des affaires haïtiennes développent beaucoup de gymnastiques pour créer, maintenir et multiplier ses actifs. À titre d’illustrations : visites continues à la Primature ou à la Présidence (lorsque ce poste n’était pas vacant) à la recherche du Chef pour régler leurs affaires, acheter la conscience des dirigeants syndicaux, ainsi que payer de grandes sommes d’argent aux intellectuels, journalistes, communicateurs sociaux, comédiens, économistes, avocats, députés, sénateurs, juges, etc., dans le but délibéré d’agir et de parler au profit de leurs richesses.
La participation de l’élite des affaires haïtiennes a un haut niveau d’impact sur le présent et l’avenir des principaux axes stratégiques de développement: l’éducation, le modèle économique, les services publics, la sécurité sociale, les investissements publics, les priorités législatives, l’institutionnalité du système judiciaire, entre autres. Dans leurs stratégies, cette classe d’affaires achète les talents de poètes, d’écrivains, de directeurs et de rédacteurs en chef des médias, de juristes et de personnes publiques qui se déguisent en honnêteté et en solidarité, afin de protéger leurs biens matériels.
Il ne fait aucun doute que les groupes économiques contrôlent le pays et ses institutions. Ils concentrent la richesse nationale. Ils ont tous les privilèges de l’État. Ils reçoivent des incitations, des exonérations et jouissent d’un niveau élevé d’impunité. Ils violent les lois et ne répondent pas de leurs actes. Ils assurent une omniprésence dans des entreprises publiques et privées.
En somme, dans cette conjoncture, la crise de réputation, de crédibilité et d’image publique qui confinent aux décisions, aux actions et aux opinions de l’élite des affaires, il est impossible de la corriger avec des stratégies de communication médiatique, par le lobbying auprès des chambres législatives, en écrivant et en publiant des articles d’opinion biaisés et, encore moins, en embauchant des comédiens et des communicateurs pour relayer les mensonges et les demi-vérités au public.
Yves Manuel