La décision du ministère de la Justice datée du 12 mai 2025, demandant au Commissaire du gouvernement de Port-au-Prince, Me Frantz Monclair, de procéder au gel immédiat des comptes bancaires de plusieurs ressortissants haïtiens sanctionnés par l’ONU, ne passe pas inaperçue. Elle provoque même de vives critiques. Parmi les voix les plus tranchantes, celle de Me Camille Leblanc, ancien titulaire du même ministère, qui n’hésite pas à parler de dérive.
Pour l’ancien ministre, la démarche actuelle outrepasse les normes juridiques établies. Il rappelle que les sanctions adoptées par les Nations Unies s’appliquent automatiquement dans les pays membres et ne nécessitent pas d’interventions de type conservatoire à l’échelle nationale. Surtout pas sans ordonnance préalable d’une autorité judiciaire compétente.
Selon lui, deux étapes claires s’imposent dans ce genre de dossier : l’identification formelle des personnes concernées, puis une demande d’autorisation judiciaire pour tout blocage de fonds. Or, dans le cas présent, aucune procédure de ce type ne semble avoir été engagée. Ce qui pose un sérieux problème de légalité.
Dans un contexte déjà miné par le doute à l’égard des institutions, Me Leblanc dénonce ce qu’il perçoit comme une instrumentalisation du droit au profit de considérations diplomatiques et politiques. Pour lui, la lettre du ministre Patrick Pelissier ressemble davantage à un acte d’allégeance vis-à-vis des chancelleries étrangères qu’à une application rigoureuse du droit haïtien.
« On n’improvise pas des mesures aussi graves à l’encontre de citoyens haïtiens sur simple base d’une volonté politique, encore moins à partir d’une lettre administrative », fait-il valoir. Il s’alarme notamment du fait que certaines des personnes visées n’aient pas été formellement accusées dans le système judiciaire haïtien, ce qui rend leur mise au ban d’autant plus discutable.
Plus inquiétant encore, selon lui : la facilité avec laquelle un ministre peut désormais, par simple correspondance, affecter la vie économique et sociale d’un individu, sans que les garanties procédurales ne soient respectées. « On entre dans une logique de mise à mort administrative », prévient-il.
Un autre juriste, qui a préféré garder l’anonymat, partage cette analyse. Il souligne que les sanctions du Conseil de sécurité s’imposent automatiquement à tous les États membres, et qu’il n’est nul besoin de doublonner ce mécanisme par des gestes unilatéraux de la part d’un ministère. À ses yeux, le ministre n’avait aucune base pour intervenir de cette manière, sauf à rechercher un effet politique plus qu’une efficacité juridique.
Le débat, désormais lancé, met en lumière les tensions croissantes entre volonté d’afficher une coopération internationale et respect des normes internes. Reste à savoir si le Commissaire Monclair suivra les consignes à la lettre, ou s’il privilégiera une lecture rigoureuse du droit, quitte à déplaire.
L’épisode relance aussi une question plus large : celle de l’équilibre entre souveraineté, justice et diplomatie dans un pays où les institutions peinent encore à fonctionner de manière indépendante.