Alors qu’Haïti traverse l’une des périodes les plus critiques de son histoire contemporaine, une nouvelle proposition de Constitution vient semer davantage de division au lieu de jeter les bases d’une reconstruction nationale. Présenté le 21 mai 2025 par l’ancien Premier ministre Enex Jean-Charles, l’avant-projet de Constitution a immédiatement suscité de vives réactions. Au cœur de la controverse : une série de dispositions qui écartent délibérément la diaspora haïtienne des postes décisionnels de l’État, sous prétexte de nationalité unique.
Un détail révélateur se trouve dans l’article 73, où il est stipulé que pour devenir député, il faut « être Haïtien d’origine, n’avoir jamais renoncé à sa nationalité et ne détenir aucune autre nationalité au moment de son inscription ». La même condition est exigée pour les sénateurs, ministres, juges, ambassadeurs, membres du Conseil électoral ou encore de la Cour des comptes. En clair, des millions d’Haïtiens vivant à l’étranger, qui participent activement à la survie économique du pays par leurs transferts et leurs investissements, sont considérés comme inaptes à servir leur nation s’ils possèdent une autre nationalité.
Face à cette fermeture constitutionnalisée, l’indignation est palpable. L’IDENH (Intégration de la diaspora haïtienne pour l’émergence d’une nouvelle Haïti) a été l’un des premiers à exprimer un rejet clair et net. Pour cette organisation, il ne s’agit pas seulement d’un choix politique, mais d’un affront à la dignité d’une communauté qui n’a jamais cessé de tendre la main à Haïti, même dans les pires tempêtes.
À contre-courant, un autre projet de Constitution, élaboré en 2021 par le Conseil Consultatif Indépendant (CCI) sous la direction du professeur Louis Nau, propose une alternative fondée sur l’ouverture et la reconnaissance. Ce texte, sans jamais exiger l’exclusivité de nationalité, permet à tout Haïtien d’origine, même détenteur d’une double nationalité, de voter, d’être élu, et de participer à la gouvernance de son pays. Il reconnaît même explicitement la nécessité d’une représentation de la diaspora au Parlement, à hauteur d’au moins 5 % des sièges.
La contradiction devient encore plus troublante lorsque l’on constate que le ministère des Haïtiens vivant à l’étranger, censé défendre les intérêts de la diaspora, a salué ce projet d’exclusion. Dans un communiqué du 21 mai 2025, la ministre Kathia Verdier est allée jusqu’à parler de « tournant historique pour la diaspora ». Un positionnement qui ne peut que susciter l’incompréhension et poser des questions sur la cohérence de la mission même de ce ministère.
À travers ce débat, une évidence s’impose : il n’y aura pas de Nouvelle Haïti sans tous les Haïtiens. Une République qui exclut ses propres enfants sur la base de documents administratifs est une République qui se saborde elle-même. Le moment est venu de faire un choix : perpétuer des logiques de fermeture héritées d’un autre temps, ou ouvrir les portes de l’avenir à toutes les forces vives, où qu’elles se trouvent.
La diaspora n’est pas un corps étranger à la nation. Elle est une extension de ses racines, un pilier de sa résilience. L’heure est à l’unité, non à la division. À l’inclusion, non à l’exclusion. Haïti mérite une Constitution qui rassemble et qui élève.