Tuesday, July 1

Dans un pays où les chefs militaires ont souvent été associés à la répression, à l’ambition personnelle ou à l’exercice absolu du pouvoir, le nom d’Hérard Abraham mérite d’être remis à l’honneur comme une exception digne d’étude. Ce général, décédé le 24 août 2022 à Fermathe, à l’âge de 82 ans, laisse le souvenir rare d’un homme en uniforme ayant choisi son pays plutôt que le pouvoir.

Né le 28 juillet 1940 à Port-au-Prince, Hérard Abraham s’engage très tôt dans l’armée haïtienne. Il gravit tous les échelons jusqu’au grade de lieutenant-général, intégrant le cercle rapproché du président Jean-Claude Duvalier. En 1983, il prend la tête de l’Académie militaire, un poste stratégique dans une institution alors au cœur du régime.

Mais en 1986, à la surprise de beaucoup, Abraham soutient le soulèvement populaire contre Duvalier — une rupture courageuse avec un système auquel il avait été associé. Après le départ des Duvalier, il devient l’un des piliers de la transition démocratique, occupant successivement les fonctions de secrétaire d’État à l’Intérieur et à la Défense nationale, ministre de l’Information, puis ministre des Affaires étrangères à deux reprises, sous le général Henri Namphy.

Son geste le plus marquant survient en mars 1990, lorsqu’il assume brièvement la présidence par intérim après le départ de Prosper Avril. Refusant de s’accrocher au pouvoir, il remet les rênes de l’État, après seulement trois jours, à la juge Ertha Pascal-Trouillot, première femme à occuper la présidence en Haïti — un acte exceptionnel dans l’histoire militaire du pays.

Le Premier ministre de l’époque, Ariel Henry, dans un message de condoléances publié sur Twitter lors de son décès, salua en lui un « militaire et homme d’État modéré et exemplaire », et « un digne fils de la patrie ».

Même après sa retraite de l’armée, en 1991, et son installation à Miami, le général Abraham continua d’exprimer sa vision pour Haïti. En février 2004, il appelle depuis la Floride le président Jean-Bertrand Aristide à démissionner, dans un contexte d’instabilité croissante. Après le départ d’Aristide, il accepte l’appel de Gérard Latortue, alors Premier ministre, et revient au pays pour servir, d’abord comme ministre de l’Intérieur, puis à nouveau comme ministre des Affaires étrangères, jusqu’en 2006.

Sa dernière implication publique remonte à octobre 2020, lorsqu’il est nommé au sein d’un comité consultatif controversé pour une réforme constitutionnelle initiée par le président Jovenel Moïse. Bien que le projet ait suscité de nombreuses critiques, la participation d’Abraham s’inscrivait dans sa logique constante : contribuer, autant que possible, à la stabilité nationale.

Le parcours d’Hérard Abraham mérite une place centrale dans la mémoire collective haïtienne, en particulier au sein des nouvelles Forces armées d’Haïti. À une époque où le pays est secoué par la violence, la corruption et la perte de repères institutionnels, l’exemple de ce général devrait inspirer toute une génération de militaires et de responsables publics. Il a démontré qu’on peut servir avec loyauté sans s’accrocher au pouvoir, qu’on peut être fort sans être dominateur, et qu’il est possible de faire carrière dans l’armée tout en conservant une vision républicaine du rôle des forces armées.

À l’heure où Haïti cherche des repères et des modèles de leadership intègre, le parcours d’Hérard Abraham mérite d’être redécouvert. Il rappelle qu’un militaire peut servir avec dignité sans chercher à régner, et que l’honneur se mesure à la loyauté envers la nation, non à la durée au pouvoir.

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