À Solino, Nazon et Delmas 30, la vie a été chassée par les armes. Les maisons calcinées, les ruelles jonchées de débris et les façades éventrées témoignent d’un règne sans partage des gangs armés. Malgré l’annonce de « paix » de la coalition criminelle Viv Ansanm, menée par Jimmy Chérizier alias Barbecue, la peur et la méfiance restent dominantes.
Les rues autrefois animées sont désormais des couloirs de désolation : portes arrachées, toits effondrés, commerces réduits en cendres. « Quand je suis revenu, je n’ai rien retrouvé. Ils ont tout pris, même la porte de la maison. Les murs sont noircis, le toit s’est effondré. Ce n’est plus un lieu où l’on peut vivre, c’est un tombeau de souvenirs », raconte Michel, 42 ans, père de famille, le regard perdu dans le vide.
C’est toute une génération qui est traumatisée. Les cicatrices les plus profondes ne sont pas visibles. Dans ces quartiers, de nombreux enfants vivent dans la crainte constante, convaincus que les hommes armés reviendront. Ils grandissent marqués par les cris, les explosions et les incendies, transformant leur enfance en une succession de cauchemars permanents. Les traumatismes psychologiques sont profonds, et aucun souvenir de sécurité ou de normalité ne semble leur être épargné.
La « paix » des gangs, un piège mortel
Le 24 août dernier, certains déplacés ont tenté un retour furtif. Ils ont découvert leurs maisons brûlées, leurs biens volés. D’autres n’ont retrouvé que des murs noirs et des cendres. « Même si l’on me donnait de l’or, je n’y retournerais jamais. Là-bas, ce n’est pas la vie, c’est juste attendre la mort », tranche une mère réfugiée.
La Police nationale d’Haïti (PNH) confirme les craintes, le retrait des gangs pourrait n’être qu’une manœuvre tactique. Les habitants seraient potentiellement utilisés comme boucliers humains lors de futures offensives.
Des milliers de vies suspendues et le désespoir plus fort que la poussière
Plus de 13 000 personnes, selon l’OIM, ont fui leurs foyers ces derniers mois. Elles survivent entassées dans des écoles transformées en refuges ou chez des proches déjà précarisés. « Même si l’on me donnait un milliard de dollars aujourd’hui, je ne pourrais pas reconstruire ma maison. Elle n’est plus qu’un souvenir effacé, comme si elle n’avait jamais existé », confie une mère de famille.
Les opérations de nettoyage menées par la mairie ne suffisent pas à restaurer l’espoir. Les débris sont dégagés, mais l’odeur du chaos persiste. « On peut reconstruire des murs et remettre des toits, mais le cœur des gens reste complètement brisé. Ce que nous avons perdu ne se mesure pas seulement en briques ou en bois. C’est la dignité, la confiance et l’espoir qui se sont effondrés », explique un déplacé.
Une accalmie trompeuse
Si les armes se sont tues, la vigilance demeure. « Les gangs… ils ne sont jamais vraiment partis. Ils rôdent toujours, dans l’ombre, derrière chaque ruelle et chaque mur effondré. Même quand le silence semble revenu, tu sais qu’ils observent, prêts à frapper à nouveau », murmure un vieil homme.
À Solino et Delmas 30, la paix n’est pas un état, elle est une illusion cruelle, suspendue à la menace constante du retour des flammes. Les habitants vivent dans une attente oppressante, entre espoir fragile et résignation.
Mederson Alcindor