Le 14 mai 2025, le président dominicain Luis Abinader a convoqué une réunion peu commune mais hautement symbolique : il a réuni autour de lui les anciens présidents de la République dominicaine. Objectif déclaré : les informer de la situation actuelle en Haïti et, probablement, partager avec eux les grandes lignes des orientations que son gouvernement envisage dans ce contexte troublé. Ce geste, apparemment anodin, révèle en profondeur une conception de l’État, de la continuité institutionnelle, et du sens de la responsabilité face à des enjeux transfrontaliers majeurs.
De l’autre côté de la frontière, silence radio. En Haïti, aucune initiative similaire n’a jamais été observée. Aucun gouvernement haïtien n’a jusqu’à présent eu le réflexe ou la volonté de convoquer les anciens chefs d’État pour dialoguer, partager des analyses ou rechercher une forme de cohésion nationale, même dans les moments de crise. Pourtant, le pays fait face à des défis multiformes : instabilité politique chronique, insécurité galopante, effondrement des institutions, exode massif de la population, et une perte de repères généralisée.
Ce contraste interroge. Comment expliquer qu’un pays voisin, pourtant confronté à ses propres contradictions internes, puisse faire preuve d’un tel sens du consensus stratégique, tandis qu’Haïti s’enferme dans un modèle de gouvernance solitaire, parfois teinté d’improvisation et de méfiance ?
La rencontre initiée par Luis Abinader n’est pas seulement un signal fort envers l’opinion publique dominicaine ; elle représente aussi une démonstration de maturité politique. Car consulter ceux qui, à un moment de l’histoire, ont dirigé la nation, ce n’est pas abdiquer sa propre autorité. C’est reconnaître que l’avenir se construit aussi à partir des expériences passées, fussent-elles contestées.
En Haïti, les anciens présidents sont souvent réduits au silence ou mis à l’écart. Aucun cadre institutionnel n’existe pour valoriser leur expérience, ni même pour engager avec eux un dialogue constructif dans l’intérêt supérieur de la nation. On préfère souvent les oublier, ou les instrumentaliser au gré des intérêts politiques.
La République dominicaine, sans être un modèle parfait, donne ici une leçon de méthode : face à une situation régionale préoccupante, elle prend les devants, elle consulte, elle anticipe. Pendant ce temps, en Haïti, c’est l’incertitude qui domine, l’absence de vision partagée, et l’enfermement dans une gouvernance fragmentée.
Il serait peut-être temps pour les dirigeants haïtiens, actuels ou à venir, de comprendre qu’aucune relance nationale n’est possible sans une dose de mémoire, de concertation, et d’intelligence collective. Le pays n’a pas seulement besoin de nouveaux visages, il a besoin de nouvelles pratiques.