Dans une démarche présentée comme un renforcement de la lutte contre l’impunité, le Commissaire du gouvernement, Me Frantz Monclair, a informé cette semaine avoir adressé des correspondances à deux institutions clés dans le combat contre la corruption et le blanchiment de capitaux en Haïti : l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC) et l’Unité centrale de renseignements financiers (UCREF). L’objectif affiché est l’ouverture d’une enquête financière ciblant les personnes sanctionnées par les Nations Unies pour leur implication présumée dans la violence armée qui ronge la capitale, ainsi que leurs éventuels complices.
La liste de sept personnes visées par les sanctions de l’ONU comprend des figures bien connues dans l’univers criminel haïtien. On y retrouve notamment l’ancien député Victor Prophane, aujourd’hui écroué, suspecté d’avoir joué un rôle actif dans l’organisation, le financement et l’armement de groupes armés. À ses côtés figurent six chefs de gangs tristement célèbres : Johnson “Izo” André du gang « 5 Second » basé à Village-de-Dieu, Jimmy “Barbecue” Chérizier de Delmas 6, dirigeant de la coalition « Viv Ansanm », Vitelhomme Innocent du gang « Kraze Baryè », Renel “Ti Lapli” Destina de Gran Ravin, Luckson Élan du gang Gran Grif, et Wilson Joseph alias “Lanmò 100 jou” à la tête des 400 Mawozo.
Selon Me Monclair, l’action publique sera activée non seulement contre ces individus – dont plusieurs échappent encore aux efforts de la police – mais aussi contre ceux qui, dans l’ombre, facilitent leurs opérations illicites : trafiquants d’armes, de drogue, et autres complices financiers. Il s’agit là d’un signal adressé aux sphères invisibles du pouvoir et du crime organisé, souvent soupçonnées de collusion.
Cette annonce relance également le débat autour d’une fameuse liste évoquée il y a quelques années par Jean Rebel Dorcénat, alors membre de la Commission nationale de désarmement, démantèlement et réinsertion (CNDDR), aujourd’hui dissoute. Ce dernier avait parlé publiquement d’un groupe de 11 familles influentes soupçonnées d’être impliquées dans le trafic d’armes. Pourtant, cette liste n’a jamais été rendue publique ni versée officiellement aux autorités compétentes, ce qui alimente les soupçons de protection en haut lieu.
Depuis la publication des sanctions de l’ONU, les banques commerciales haïtiennes ont pris des mesures de gel automatique des comptes liés aux personnes désignées, conformément aux standards internationaux en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Ce qui signifie que, dans les faits, certaines actions étaient déjà enclenchées bien avant cette sortie médiatique du Commissaire Monclair.
La conférence de presse de ce mardi prend néanmoins une dimension politique particulière. Loin d’être un simple rappel des faits, elle semble marquer une volonté de réaffirmer l’engagement de l’État – ou du moins d’en donner l’image – dans la traque des architectes et des financiers de la violence en Haïti. Une manœuvre saluée par certains, critiquée par d’autres, qui dénoncent un discours plus médiatique qu’opérationnel.
À ce jour, seule une arrestation a été effectuée : celle de l’ancien député Victor Prophane. Les autres, toujours en liberté, continuent de défier les institutions sécuritaires, dans un climat où la frontière entre justice, politique et protection reste floue.
L’évolution de cette enquête financière pourrait cependant en dire long sur la capacité réelle des autorités à s’attaquer aux structures économiques qui soutiennent les groupes armés, et surtout à briser les réseaux d’impunité qui les entourent depuis trop longtemps.