Frankétienne, de son vrai nom Jean-Pierre Basilic Dantor Franck Étienne d’Argent, était l’un des plus grands intellectuels et artistes qu’Haïti ait jamais connus. Né en 1936 à Ravine Sèche, près de Jérémie, il s’est imposé comme un écrivain, poète, dramaturge, peintre, chanteur et enseignant, dont la voix a profondément marqué la littérature haïtienne et francophone.
Véritable monument vivant jusqu’à sa disparition, Frankétienne est considéré comme le père de la littérature créole moderne, mais aussi comme un penseur visionnaire qui a su capter l’âme tourmentée et lumineuse du peuple haïtien.
Un pionnier de l’écriture en créole
Dans un pays où le français était longtemps considéré comme la seule langue de la culture écrite, Frankétienne a brisé les barrières. Il a été le premier à publier un roman entièrement en créole : “Dezafi” (1975). Cette œuvre révolutionnaire a marqué un tournant historique, valorisant le créole comme langue de réflexion, de création et de combat.
Le spiralisme : une esthétique du chaos
Frankétienne est également le fondateur du mouvement littéraire et artistique appelé le spiralisme, un courant qui cherche à représenter la complexité du monde à travers des formes en spirale, symbole du mouvement, de l’énergie, du désordre vivant.
Pour lui, Haïti n’était pas seulement une réalité sociale ou politique, mais une spirale d’émotions, de douleurs, de révoltes et d’espoirs. Il traduisait ce tumulte dans ses romans, ses poèmes, ses pièces de théâtre et ses toiles peintes.
Un homme de parole et d’engagement
Profondément engagé dans la société haïtienne, Frankétienne utilisait l’art comme une arme contre l’injustice, la misère, l’ignorance et la dictature. Il n’a jamais cessé de défendre la dignité humaine, la liberté d’expression et la richesse de l’identité haïtienne.
Son œuvre est à la fois littéraire et politique, poétique et prophétique. Elle donne la parole aux oubliés, aux zombifiés, aux opprimés. Elle interroge le pouvoir, les traditions, la modernité, l’absurde, la mort et la résurrection.
Un héritage indélébile
Frankétienne a laissé derrière lui plus d’une cinquantaine de livres, des centaines de tableaux, des pièces de théâtre jouées à travers le monde, et des générations entières d’élèves et de lecteurs profondément marqués par sa pensée.
Nommé Artiste de l’UNESCO pour la paix en 2010, il était reconnu internationalement pour son talent exceptionnel et son rôle de pont culturel entre Haïti et le monde.
Frankétienne n’était pas seulement un écrivain haïtien. Il était une voix mondiale, une force créative qui a su transformer le chaos en art, la douleur en beauté, le cri en chant. Il a mis sa vie au service de la parole libre, de la culture vivante, de l’âme haïtienne.
Aujourd’hui encore, son nom résonne comme un symbole de résistance, de génie et de fierté nationale.
Frankétienne n’est pas mort. Il vit dans chaque mot qui éclaire, dans chaque esprit qui résiste.