En Haïti, la politique n’est pas seulement un exercice de pouvoir : elle est devenue, pour beaucoup, un refuge, un métier, une carrière personnelle où l’intérêt public passe au second plan. Depuis des décennies, le comportement de l’homme politique haïtien s’éloigne de sa mission première : protéger, élever et défendre la population.
L’homme politique haïtien entretient une relation troublée avec la société. Une relation faite de promesses non tenues, de distance, de mépris voilé ou assumé, et d’une absence profonde de responsabilité. Au lieu d’être un guide, il devient trop souvent un calculateur, un marchand d’illusions, un acteur qui ne se sent comptable ni devant la population ni devant l’histoire.
Mais il existe un autre phénomène encore plus corrosif :
La transformation du militantisme en carrière politique toxique
Beaucoup d’hommes politiques haïtiens ont commencé comme militants sociaux, défenseurs du peuple, porte-voix des opprimés. Ils ont crié « justice », « changement », « dignité ». Mais une fois intégrés au système, ce militantisme s’est muté en ambition personnelle, en privilèges, en accès à l’État comme si l’État était une récompense.
Au lieu de servir, ils se servent.
Au lieu de défendre la Nation, ils se battent pour leur place dans le chaos.
Le militant devient alors un politicien professionnel, déconnecté de la douleur populaire, mais habile dans l’art de manipuler les discours pour masquer son inaction.
Et pourtant, malgré les erreurs répétées, malgré les échecs visibles, malgré les trahisons successives, ils s’accrochent.
Pourquoi ?
Parce qu’en Haïti, la politique n’est plus une vocation ; elle est devenue un refuge économique, une ascension sociale, un espace d’impunité.
Parce que l’État est traité comme une entreprise privée où chaque poste devient un bénéfice, chaque mandat un salaire, chaque fonction un espace d’exploitation.
Parce que l’échec n’a pas de conséquence.
Parce que le système pardonne tout — sauf la volonté de le changer.
Cette obstination à rester, malgré l’échec, n’est pas un signe de conviction ; c’est la preuve d’une dépendance à un système qui nourrit les ambitions mais affame le pays.
Ils s’accrochent parce que la politique leur garantit ce que la société ne garantit pas : un statut, des avantages, une porte d’entrée vers l’impunité et la survie personnelle.
Pendant ce temps, la population, elle, regarde, espère, puis se résigne.
Et dans cette résignation, quelque chose de précieux s’effrite : la confiance.
Quand les dirigeants mentent, manipulent, promettent puis disparaissent, ce n’est pas seulement l’État qui s’effondre : c’est la dignité collective.
C’est la capacité du peuple à croire en un avenir possible.
Pourtant, tout n’est pas perdu.
Le pays a encore une jeunesse vibrante, une diaspora déterminée, une société civile résiliente.
La transformation doit commencer par une révolution morale, une reconstruction du rapport au pouvoir, et une redéfinition du leadership.
Car Haïti ne manque pas de gens talentueux ; elle manque d’hommes et de femmes capables d’aimer le pays plus qu’eux-mêmes.
Le vrai changement ne viendra pas de ceux qui s’accrochent au système, mais de ceux qui auront le courage de rompre avec lui.
Junior Moschino Remy
