Depuis le 1er juin 2021, une fracture béante sépare la capitale haïtienne du Grand Sud. Une cassure géographique, mais surtout humaine, politique et symbolique. Ce jour-là, le quartier stratégique de Martissant est tombé entre les mains de groupes armés, bloquant la route nationale #2, seul axe reliant Port-au-Prince aux départements du Sud, du Sud-Est, des Nippes et de la Grand’Anse.
Quatre ans plus tard, rien n’a changé. Ou plutôt si : la situation a empiré.
Ce qui fut autrefois un simple point de passage animé par le va-et-vient quotidien est devenu une zone de guerre abandonnée par les institutions. Les témoignages d’habitants déplacés, les images de cadavres abandonnés dans les rues, les récits de familles décimées, n’émeuvent plus personne au sommet de l’État.
En 2021, alors que les affrontements entre gangs faisaient rage à Martissant, aucune opération structurée n’a été lancée pour stopper l’avancée de ces groupes. Le président Jovenel Moïse, encore en poste, n’avait proposé ni plan d’urgence ni réponse ferme. Claude Joseph, son Premier ministre de l’époque, avait fait un passage éclair dans la zone aux côtés du chef de la police Léon Charles, à pied, sous haute protection. Un geste aussi spectaculaire qu’inefficace, resté sans lendemain.
Un mois plus tard, le 7 juillet 2021, le pays basculait définitivement dans l’instabilité avec l’assassinat du président. Le vide laissé par cet événement historique a ouvert la voie à une transition floue. Ariel Henry, propulsé à la primature dans des conditions exceptionnelles, a poursuivi le mandat sans jamais redresser la barre. Pire encore, la crise sécuritaire s’est élargie. Carrefour-Feuilles, Mariani, Gressier… Les zones contrôlées par les gangs se sont multipliées, jusqu’à représenter aujourd’hui plus de 85 % de la région métropolitaine de Port-au-Prince.
Le scénario est toujours le même : silence des autorités, multiplication des promesses, suivi de vagues conférences de presse. Pendant ce temps, les gangs gagnent du terrain. Krisla à Carrefour, Izo à Village-de-Dieu, Ti Lapli à Grand-Ravine… Des noms désormais plus connus que ceux des responsables publics.
La démission d’Ariel Henry en mars 2025, sous la pression de la communauté internationale et d’une population à bout, a donné naissance à un Conseil Présidentiel de Transition. Composé de figures politiques familières, parfois controversées, le CPT n’a toujours pas posé les bases d’un projet clair. À Martissant, comme ailleurs, aucune présence policière ou militaire sérieuse n’a été constatée.
Et la mission multinationale de sécurité ? Attendue comme un espoir par des milliers de familles, elle reste invisible dans les zones les plus touchées. Aucun plan concret, aucune opération d’envergure pour reprendre Martissant.
Ce qui devait être une parenthèse sécuritaire s’est transformé en abandon prolongé. Martissant n’est plus un simple quartier. Il incarne aujourd’hui l’illustration brutale d’un effondrement politique.
Ceux qui avaient pour mission de protéger la nation ont failli. Jovenel Moïse, pour avoir regardé ailleurs. Claude Joseph et Léon Charles, pour avoir improvisé au lieu d’agir. Ariel Henry, pour avoir laissé pourrir la situation. Et maintenant le CPT, qui piétine pendant que les Haïtiens continuent de fuir ou de mourir.
Martissant, quatre ans après, reste une plaie ouverte. Le jour où cette zone sera reconquise – si cela arrive un jour – marquera peut-être le début d’un retour de l’autorité publique. D’ici là, chaque jour passé sans action renforce l’idée que ce pays n’a plus de boussole.