Entre recueillement, chants et transes, la fête des guédés célébrée les 1er et 2 novembre a conservé toute sa symbolique dans plusieurs cimetières du pays, malgré un climat d’insécurité généralisée dans la capitale. À Fragneau Ville Delmas 75 comme à Drouillard, à Cité Soleil, fidèles et curieux ont bravé la peur pour honorer les esprits des morts.
Sous un soleil brûlant, des fidèles vêtus de blanc se sont rassemblés autour des croix noires et mauves, couleurs emblématiques des guédés. Tambours, bougies, fleurs et bouteilles de clairin composaient le décor d’une tradition profondément ancrée dans la culture haïtienne. À chaque battement de tambour, la foule s’animait, entonnant des chants dédiés à Baron Samedi, Manman Brigitte et d’autres loas gardiens des cimetières.
« C’est un moment pour honorer nos ancêtres et prier pour les âmes des morts, malgré tout ce qui se passe dans le pays », confie Micheline Pierre, une pratiquante rencontrée au cimetière de Fragneau Ville.
Au fil de la journée, le cimetière s’est remplie de fidèles. Des prières chrétiennes s’y mêlaient aux invocations vaudou, reflet du syncrétisme religieux haïtien où se rencontrent catholicisme et spiritualité ancestrale. Tandis que certains allumaient des bougies ou déposaient des couronnes sur les tombes familiales, d’autres entraient en transe, invoquant les esprits à travers danses et offrandes.
Mais derrière cette ferveur, la menace de la violence pèse lourdement. À Drouillard, dans la commune de Cité Soleil, les cérémonies ont eu lieu dans un climat calme mais la peur était palpable. Les fidèles ont dû écourter les rituels en raison de tirs sporadiques dans les environs. « Chaque année, nous venons en plus petit nombre. Beaucoup ont peur de se déplacer à cause des gangs », témoigne Jean-Baptiste, un habitant du quartier.
Les célébrations, autrefois marquées par une grande affluence et une atmosphère carnavalesque, sont désormais plus discrètes. L’insécurité a restreint l’accès aux cimetières surtout le grand cimetière de Port-au-Prince, réduit les offrandes et perturbé les rassemblements. À Fragneau Ville, des familles choisissaient de venir très tôt, avant la tombée du jour.
Malgré ces obstacles, la fête conserve sa saveur mystique et populaire. Autour des tombes décorées de fleurs et de rubans violets, des rires, des chants et des danses ont rappelé la dimension vivante de cette tradition. Entre prières et incantations, les fidèles célèbrent à la fois la mort et la continuité de la vie.
« C’est plus qu’une fête, c’est une mémoire collective », affirme un Empereur, prêtre vaudou. « Même si l’insécurité empêche certains de venir, nous devons continuer à honorer nos morts. C’est notre culture qui est en jeu », poursuit-il.
La fête des guédés, héritée du culte des ancêtres africains et enrichie de la tradition catholique, reste un symbole de résistance spirituelle pour les Haïtiens. Entre peur et ferveur, elle témoigne de la capacité du peuple à préserver ses racines malgré les crises successives.
Mederson Alcindor


