Jean Sénat Fleury, 20 Septembre 2025
« Je suis né dans l’esclavage, mais je n’ai jamais été esclave, parce que je refusais d’obéir aux ordres d’un maître. »
Jean-Jacques Dessalines
Il y a des hommes qui sont des représentants de leur race, de leur nation, et de leur génération. Ils sont des êtres exceptionnels qui sont des échantillons de leur société ou encore ils sont à l’avant-garde de l’humanité. Ils ont non seulement laissé leurs empreintes sur leur époque, mais bien plus, ils ont laissé leurs marques dans l’histoire universelle des peuples et des nations. Ils ont la grandeur et la qualité d’une vie éternelle. Ils appartiennent à toute époque et à tout temps. Ce sont des gens qui ont accompli des faits uniques et qui ont changé le cours de l’histoire par leurs actions. À un moment de leur vie, ils se sont mis debout, et ils ont défié un système. Ils ont mené le combat qui ouvre le sentier étroit de la justice, de la liberté, et de l’égalité pour tous. Ces hommes sont appelés héros, ayant une puissance de pensée et une force d’âmes peu communes. Dieu les a créés pour en faire des forgeurs de conscience, des révolutionnaires, des meneurs d’hommes, des leaders. Ce sont eux qui sont les vrais rois de ce monde ! Dessalines est l’un de ces hommes : un génie de sa race. Un géant dans l’histoire de l’humanité.
Esclave des champs, et plus tard devenu charpentier, Dessalines est né dans une plantation de canne à sucre située à Cornier, à la Grande-Rivière-du-Nord. Il a habité dans cette habitation, depuis sa tendre enfance, jusqu’à l’âge adulte. Traqué comme un animal, estampillé des initiales de son maître dans le dos, il a été soumis à un rythme de travail si harassant que plusieurs nègres sur la plantation qui ne supportaient pas ce calvaire y succombaient ou se donnaient la mort. Dessalines a résisté. Il portait toujours à l’esprit le rêve de libérer ses frères et sœurs du joug de l’esclavage. Il a toujours détesté le traitement donné à eux sur l’habitation, particulièrement les esclaves des champs.
En effet, s’il existe sur l’habitation une classe d’esclaves dont la condition était la plus misérable, c’était certainement celles des esclaves dits des champs, ou encore appelés esclaves de jardin ou esclaves de place, en rapport avec leur lieu de travail qui était la plantation. Ils constituaient la population la plus nombreuse et « la plus malheureuse » de l’habitation et leurs conditions de vie diffèrent totalement de celles des esclaves à talent. Non seulement, leurs travaux, qui allaient du défrichage de plusieurs hectares de forêts, à la récolte des denrées, en passant par leur culture et leur entretien, étaient les plus pénibles, mais ils devaient être à leurs postes, la plupart du temps, de cinq heures du matin à six heures du soir.
Tous les jours exposés tête nue à un soleil accablant, qui pouvait leur faire bouillir la cervelle, et par temps d’intempérie exposés à la pluie, les conditions d’existence de ces esclaves étaient des plus déplorables. Ils n’étaient jamais assez bien nourris pour les nombreuses et difficiles tâches auxquelles ils étaient attelés. Les ajoupas qui leur servaient de maisons, quand ils en avaient, étaient des plus exécrables. Quant à leurs vêtements, ils étaient couverts de haillons et ils les portaient à la limite de la nudité.
AU NOM DES MIENS
Implanter l’abolition de l’esclavage, tel était l’objectif de mon combat. J’étais le premier chef d’État du monde à faire la promotion des droits de la personne humaine sans distinction de race, de couleur, de foi religieuse et autres. J’ai promulgué le 14 janvier 1804 un décret incitatif pour encourager les capitaines de navires à ramener en Haïti des Noirs en difficulté aux États-Unis et incapables de payer le voyage. Pour chaque individu ramené, j’ai payé 40 piastres au capitaine. Près de 13,000 Afro-Américains quittèrent le Sud des États-Unis pour émigrer en Haïti, nation reconnue comme « Terre de liberté et de justice. »
Martyr pour la liberté, je suis le champion de l’égalité des races humaines. Je m’opposerais à tout ce qui visait à établir une hiérarchie entre les hommes sur la base de la couleur de la peau et des idéologies qui proclamaient l’inégalité entre les races. J’ai incarné mon génie dans Anténor Firmin pour donner une réponse à Gobineau. L’essai de Firmin, de l’Égalité des Races Humaines, publié à Paris en 1885, est une réfutation de l’idéologie européenne destinée à justifier le crime irrémissible de la colonisation.
Dans toute l’histoire de l’humanité, nul n’a contribué plus que moi, Jean-Jacques Dessalines, à l’émergence et à l’implantation des droits de la personne à travers le monde. Je suis le premier révolutionnaire, le premier empereur à offrir en modèle à l’humanité, à la fois l’abolition de l’esclavage et le renoncement au colonialisme. J’ai consacré cette rupture d’abord dans l’acte de l’indépendance d’Haïti le 1er janvier 1804, ensuite dans la Constitution impériale du 20 mai 1805. Haïti devient le premier pays à développer une politique anti-esclavagiste et anticolonialiste. À la faveur de la révolution haïtienne, les Haïtiens ont prouvé à eux-mêmes et au monde entier que l’exploitation crue du Noir par le Blanc, de l’esclave par le maître, à travers le système colonial axé sur la formule exclusive « les colonies sont fondées par et pour la Métropole, » était inadmissible.
L’article 2 de la Constitution de 1805 stipule, dans une formulation universaliste, ce qui suit : « L’esclavage est à jamais aboli. » C’est-à-dire, que tous les hommes sont égaux, quelles que soient leurs races et que par conséquent, la colonisation, à plus forte raison l’esclavage, ne sauraient être acceptés dans ce monde. Ainsi, j’ai forcé par mes exemples tous les autres peuples dans la servitude au soulèvement contre leurs oppresseurs. Les puissances coloniales, les unes après les autres, ont été obligées d’abolir l’esclavage.
Grace à la révolution haïtienne, à la fin du XVIIIe siècle et au XIXe siècle, un mouvement historique d’ampleur internationale conduisait à une abolition progressive de l’esclavage dans les territoires contrôlés par les Européens. Comme la première révolution anti-esclavagiste au monde, la révolution haïtienne constitue le point de départ de la chaîne des insurrections à travers l’Amérique, particulièrement l’Amérique latine.
Après 1804, mon rêve pour la nouvelle nation était de bâtir un pays libre où régnaient la prospérité, l’égalité, la souveraineté et l’unité. Mon projet social était orienté dans un programme de changement pour les masses. Car je ne concevais pas une Haïti indépendante sans une politique publique visant le bien-être collectif. Je prônais dans mes discours le partage équitable des biens entre toutes les classes de la société haïtiennes. Car je savais que l’épopée de 1804 de l’armée indigène n’avait pas été seulement l’œuvre des officiers et sous-officiers mulâtres, mais aussi le résultat de l’effort des vaillants soldats issus de la classe majoritaire esclavagiste. Ainsi, dans la politique agraire, je voulais que les terres des anciens colons soient léguées par l’État au profit de la collectivité.
J’étais un rassembleur. Non seulement j’ai prêché l’unité entre tous les Haïtiens et, bien plus, j ai œuvré pour que cette union traverse la frontière d’Haïti et soit répandue dans le monde entier, particulièrement en Amérique du Sud et dans toutes les autres colonies encore dans l’esclavage. Mon idéal, c’était d’arriver à la parfaite réconciliation entre les Noirs et les mulâtres obligés malgré eux de vivre sur le même territoire. Je voulais une Haïti libre, unie, avec le rêve d’avoir une patrie et une nation. Pour cela, j’ai fait inclure l’article 14 dans la Constitution impériale de 1805 : « Toute acceptation de couleur parmi les enfants d’une seule et même famille, dont le chef de l’État est le père, devant nécessairement cesser, les Haïtiens, ne seront désormais connus que sous la dénomination générique des Noirs. » J’ai voulu diminuer par mes actions la lutte des classes dans le pays.
Le Rêve – La Vision de Dessalines
« Les ennemis de l’indépendance trouvèrent toujours en lui un être impitoyable. Mais sans de fortes passions, que fait-on de grand ? »
Thomas Madiou
On peut m’assassiner et mutiler mon cadavre. Mais, on ne pourra jamais tuer mon rêve qui laisse ses racines dans la réalité sociale la plus profonde dans mon pays. Je menais la lutte contre le semi-féodalisme, le colonialisme et l’impérialisme qui étouffaient l’émancipation des peuples. Je rejetais toute forme de domination d’une classe sur une autre.
On me juge comme un tyran. J’étais pourtant un visionnaire. Une lecture de la Constitution impériale du 20 mai 1805 montre la profondeur de mes pensées, ce qu’était mon projet de société pour Haïti. Son principe se basait sur une politique d’émancipation des masses. Je voulais une émancipation réelle pour tous les Haïtiens et les Haïtiennes. J’ai amorcé mon projet de réforme agraire dans le sud. La dimension révolutionnaire de cette démarche montrait bien que ma vision avait pour fondement une politique de justice sociale. C’était un projet qui visait les intérêts des masses lésées par une élite délinquante et prétentieuse.
Sur le plan de l’éducation, l’article 11 dans la charte impériale de 1805 est formel :
« Tout citoyen doit posséder un art mécanique.»
L’article 2 consacre le principe d’Haïti comme une république libre et souveraine.
« Aucun blanc, quelle que soit sa nation, ne mettra le pied sur ce territoire à titre de maître ou de propriétaire et ne pourra à l’avenir y acquérir aucune propriété. »
Moi, Jean-Jacques Dessalines, je ne défendais pas seulement mon pays et mon peuple, je me dressais contre l’esclavage, l’exploitation et l’oppression. Je luttais pour la libération totale de tous les peuples assujettis à la servitude. Je suis un personnage historique de premier ordre et de grande valeur pour Haïti et pour l’humanité. J’ai changé le cours de l’ordre mondial en écrasant l’armée française à Vertières, et du coup tracer la voie pour la libération de l’homme noir croupi depuis des siècles dans l’esclavage.
Jean Sénat Fleury, Juriste
Docteur en Communication, Philosophie & Leadership