mercredi, octobre 22

Contexte

L’économie haïtienne, où les exportations sont vitales est asphyxiée par une insécurité omniprésente, une inflation galopante et une dépendance alimentaire chronique. Dans ce tableau sombre, la capacité à répondre aux exigences internationales de qualité n’est plus une option mais une condition sine qua non pour l’accès aux marchés et la création de valeur. La contraction économique projetée (-2,2% en 2025) et le déficit commercial criant de près de 4 milliards  de dollars après 9 mois continuent de creuser les inégalités. Cette situation ne peut être inversée que par une transformation profonde de l’offre exportable, passant impérativement par l’adoption de normes exigeantes comme leviers de compétitivité et de résilience.

L’Intégration des Normes ISO : Un gage de confiance et d’efficacité sous-exploité.

Au-delà des réglementations sectorielles, l’adoption de systèmes de management normalisés représenterait un saut qualitatif stratégique pour Haïti. La norme ISO 9001 relative au management de la qualité est un puissant outil pour les usines textiles, permettant de standardiser les processus, réduire le taux de rebut et garantir une qualité constante « zéro-défaut » exigée par les donneurs d’ordres comme H&M, Levi’s, Zara et autres. Son implémentation systématique serait un signal fort de professionnalisme, réduisant la fréquence des audits clients et sécurisant les chaînes d’approvisionnement.

Le système de management de qualité que propose l’ISO 9001 est adopté par plus d’un million d’organisation dans plus de 170 pays du monde. Cette norme repose sur sept principes dont le plus important est la satisfaction client. Aussi, son adoption requiert l’application des principes du leadership, de l’engagement des équipes, de l’approche processus (principes chers aux inspecteurs de l’IGF), l’amélioration continue (culture d’entreprise, connaissance collective et les principes du Lean management entre autres), les décisions basées sur les faits, et la gestion des relations. Tout compte fait, elle aide les entreprises à standardiser leurs opérations, à chercher les erreurs et les corriger dans le processus et à livrer des produits constants aux clients, partie prenante privilégiée.

Pour les pays en développement, l’intégration de la norme ISO 9001 dans les processus stratégique et opérationnel de production engendre des impacts tangibles. Rien que d’une certification ISO 9001 résulterait un accroissement de 10 à 20% en stimulant l’innovation et en facilitant l’accès aux marchés exigeants comme l’Europe ou les USA. Science Direct analysant le rôle de la certification ISO 9001dans l’exportation des produits agro-alimentaire (volume 117, mai 2023) indique qu’elle [ la certification] attire 15% d’investissements directs étrangers en plus, tout en réduisant les coûts de production de 5 à 10% via une baisse de rebuts. Ces tendances représenteraient un gain crucial pour les usines textiles haïtiennes, ou les pertes avoisineraient 15%. Des études du SCC/CCN (Standards Council of Canada/Conseil Canadien des Normes), l’Organisme d’accréditation national, montre que les firmes certifiées exportent 8% de plus vers des acheteurs comme H&M et Zara. Car, gage de minimisation des audits. A titre d’illustrations, en Equateur et en Inde, des PME ont vu leur chiffre d’affaires augmenter de 25% en un an après une certification. Ce qui prouve  que la standardisation n’est pas réservée aux géants.

De même, la norme ISO 14001 cadrant le management environnemental demeure la clé pour répondre aux demandes croissantes de durabilité des marchés européens et nord-américains. Lancée en 1966 et révisée en 2015, elle demeure à ce jour un outil de gouvernance pour les entreprises dans l’identification de leurs impacts écologiques (eau, énergie- déchets, émissions de CO2) et la mise en place de politiques pour les minimiser voire les éliminer. Pour une véritable amélioration continue, la norme ISO 14001 intègre la démarche du cycle PDCA et s’aligne sur les règlementations comme  REACH en Europe. Aussi, pour le secteur agroalimentaire, elle encadrerait la gestion des ressources en eau et des déchets ; pour le textile, elle permettrait de contrôler l’usage de produits chimiques (règlement REACH de l’UE) et de réduire l’empreinte carbone.

L’absence généralisée de ces certifications notamment de l’ISO14001 prive Haïti de contrats à plus forte marge (estimés à +15%) et renforce l’image d’un pays à haut risque opérationnel alors les bénéfices ont doublés pour les pays émergents qui en adopte. Cette certification booste les exportations de 4 à 8% en moyenne, répondant croissante de durabilité des marchés nord-américain et européen. Selon l’AgEcon, spécialisé dans l’économie agricole, la certification ISO 14001 conduit à des contrats dont la marge est supérieure à 15% parce que tout simplement les acheteurs veulent payer plus chers pour des produits ‘’ verts’’, ‘’durables’’. Ce qui pourrait aider la production agroalimentaire haïtienne. Une baisse de 5 à 10% de l’empreinte carbone dans la filière de la mangue ferait une grande différence tant le produit est rare et demandé en Europe mais aussi aurait la vertu d’être durable. A ceci s’ajoutent les filières textiles où la certification 14001 accélère les passages frontaliers en diminuant les contrôles douaniers. A ce titre dans une analyse sur la Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) et de la gestion environnementale de la Wiley Library, les données relatives à l’environnementalisme des entreprises et commerce international relatent que ‘’ les firmes certifiés au Costa-Rica ont vu leurs ventes agro-environnementales bondir de 25% entre 2010-2020 tandis qu’en Jamaïque elle a contribué à une hausse de 7% depuis 2015 ‘’.

Il convient aussi de souligner que les normes ISO9001 et ISO14001 ne suffisent pas. Pour les exportations, d’autres standards doivent compléter l’arsenal notamment les normes ISO45001 relatives à la santé et à la sécurité au travail ; l’ISO50001 concernant le management de l’énergie, l’ISO22000 sur la sécurité des denrées alimentaires, Fair Trade ajoutant une dimension sociale dans les commandes, les bonnes pratiques de la HACCP en matière agricole, la Global Organic Textile Standard (GOTS) garantissant une traçabilité totale, etc. En plus, ces exigences découlent des 17 Objectifs de Développement Durable (ODD) auxquels l’ONU, à travers le Cadre environnemental et social (CES), préconise comme fondements au financement des projets d’investissement de développement.

Le CROSQ et Haïti : Une Adhésion Formelle, une Intégration Opérationnelle Limitée

Haïti est membre du Caribbean Regional Organisation for Standards and Quality (CROSQ) et est techniquement engagée par le Traité de Chaguaramas à harmoniser ses normes avec les 40 standards régionaux. Dans les faits, l’intégration est faible et fragmentaire. Seulement 5% des exportations agro-textiles haïtiennes touchent les marchés caribéens de la CARICOM.  Le pays n’a pas encore pleinement transposé le corpus normatif du CROSQ dans sa réglementation nationale. Les acteurs économiques peinent à s’approprier ces standards, par manque de formation et de sensibilisation.

Cette lenteur a des conséquences directes :

  • Barrières techniques au commerce intra-CARICOM: L’incapacité à fournir systématiquement des certificats de conformité CROSQ explique en partie la faiblesse des exportations haïtiennes vers la région.
  • Coûts de certification prohibitifs: En l’absence de laboratoires nationaux accrédités selon les normes ISO/CEI 17025, les tests doivent être effectués à l’étranger, coûtant jusqu’à 7 000 USD par produit, une somme rédhibitoire pour la plupart des PME.
  • Dilution de l’avantage comparatif: Le non-alignement sur les normes régionales empêche Haïti de profiter pleinement de la zone de libre-échange CARICOM pour écouler ses mangues, son cacao ou son café de niche.

L’Urgence d’une Politique Nationale de la Qualité : Infrastructure et Gouvernance

La réponse à ces défis ne peut être ponctuelle. Elle nécessite la mise en place urgente d’une Politique Nationale de la Qualité (PNQ) complète, articulée autour de trois piliers :

1.  Une Infrastructure Institutionnelle Stratégique et de Pilotage: La création d’une autorité nationale de la qualité ou un management efficace des fonctions existantes au sein des ministères concernes est cruciale. Cet organisme aurait pour mandat de:

  •     Définir et piloter la stratégie nationale.
  •    Coordonner l’action des différents ministères (MARNDR, MCI, MDE).
  •    Représenter Haïti au sein du CROSQ et de l’ISO.
  •    Promouvoir la culture de la qualité auprès des entreprises.

2.  Un Cadre Réglementaire et Normatif Harmonisé : Il s’agit de transcrire formellement et de rendre opposables les normes CROSQ et internationales pertinentes dans le droit haïtien. Cette démarche doit être accompagnée de :

  • La mise à jour des textes sur la métrologie, l’accréditation et la certification.
  • La simplification des procédures de contrôle pour les entreprises certifiées ISO.
  • L’intégration des exigences des APE (Accords de Partenariat Économique) dans la réglementation locale.

3.  Un Système National de Contrôle, d’Évaluation et de Conformité : C’est le pilier opérationnel. Il requiert des investissements lourds mais indispensables :

  • Construction et accréditation de laboratoires d’essais** (physico-chimique, microbiologique) et d’étalonnage.
  • Création d’un organisme national d’accréditation** (sur le modèle du COFRAC en France) pour certifier la compétence des laboratoires et des organismes de certification.
  • Renforcement des capacités de contrôle aux frontières** (ports, aéroports) pour protéger le consommateur local et certifier les exports.
  • Mise en place d’un système digital de traçabilité et de délivrance de certificats.

4.  Un partenariat renforcé, performant et sincère: Avec les différentes parties prenantes notamment les partenaires techniques et financiers (PTF), il convient mettre en place et de financer des projets visant à la performance du système. Aussi, est-il nécessaire d’établir une cartographie des parties prenantes tant nationales (interne à l’administration : MCI, MEF, MARNDR, etc et externe) qu’international. Ce cadre partenarial renforcerait les capacités institutionnelles  et assurerait la viabilité de la politique publique de la qualité.

Conclusion : La Qualité comme Projet National

Sans cette infrastructure intégrée, les efforts resteront vains. Les projets de formation, bien que utiles, ne suffiront pas. L’adoption des normes ISO 9001 et 14001 ainsi que toutes celles dont le secteur exigerait doit être encouragée par des incitations fiscales et un accompagnement technique, dans le cadre de cette politique nationale. Investir dans la qualité, c’est investir dans la crédibilité internationale d’Haïti, la compétitivité de ses entreprises et la résilience de son économie. Ces outils ne s’opposent pas, ils s’imbriquent. La pacification du territoire est un prérequis à la stabilité, mais c’est bien la qualité qui sera le catalyseur de la croissance inclusive et de la réinsertion d’Haïti dans les chaînes de valeur mondiales.

Références Bibliographiques

  1. International Trade Administration. (2024). ‘’Haiti Standards for Trade’’. https://www.trade.gov/country-commercial-guides/haiti-standards-trade

Rostonn BRUTUS

Master en Management des Risques

Qualité, Sécurité, Environnement et Responsabilité Sociale des Entreprises (QSE/RSE)

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