Je me permets de pencher sur le tollé qu’a provoqué la dernière causerie de l’Administration Générale des Douanes (AGD). Oui, permission. Certains diront que j’interviens dans le débat rien que pour défendre deux ou trois amis et camarades sur le panel. D’autres penseront que je souhaite me positionner en moraliste. A moi de répondre que ce papier ne rentre dans aucune de ces cases. Il répond, au contraire, à un objectif pédagogique et citoyen.
Depuis l’arrivée de la nouvelle direction générale, l’AGD a procédé au lancement d’une nouvelle rubrique communicationnelle appelée : Causerie avec la douane. Près de deux séances écoulées, les citoyens ont fini par comprendre que l’objectif principal est de renforcer le dialogue avec les citoyens, les opérateurs et agents économiques, et les acteurs de la société civile. Toutefois, la dernière causerie a non seulement suscité des débats surtout sur les réseaux sociaux mais aussi révélé des tensions profondes entre dispositions légales – sans nulle doute héritées du passé- et réalités contemporaines, tout en exposant des lacunes fondamentales en stratégie de communication institutionnelle. Ce, à l’ère de l’expansion des outils informatiques de travestissement de discours (le phénomène «koupe’l/lage’l »), des réseaux sociaux et, surtout, de la lutte contre la contrebande d’armes et de munitions (une des missions de la douane).
Un succès économique éclipsé par une annonce anecdotique
Douze Milliards de gourdes (HTG 12, 000, 000, 000.00) collectés pour le mois d’octobre 2025. Tel a été, reste et demeure le message que les agents et responsables douaniers ont voulu communiquer à la population. C’est, en fait, le cœur du discours officiel de l’AGD. Un chiffre record, en termes de recettes douanières, pour une direction générale à peine nommée et évoluant dans une situation politico-administrative et socio-économique difficile aggravée de jour en jour par l’insécurité. Cette annonce de performance témoignerait de la capacité d’une administration à utiliser les stratégies et techniques de perception en vue de renflouer les caisses de l’Etat. La collecte de 12 milliards de gourdes serait une nouvelle économique de grande envergure pour un Etat en quête de ressources. Elle signifierait le résultat d’un effort collectif et d’une dynamique positive. Et, c’est ce qui devrait être mis en exergue.
Malencontreusement, c’est un rappel à l’ordre anachronique sur l’interdiction d’importation des produits contraires aux bonnes mœurs (les sextoys, les poupées sexuelles vendues en ligne actuellement, par exemple) ou s’apparenteraient à la pornographie qui a capté l’opinion publique, occupé l’espace médiatique et retenu l’attention des réseaux sociaux. Ce, au détriment de la prouesse financière et reléguant cette dernière au second plan. Ce choix communicationnel remet en question la maitrise des du narratif des panelistes et de l’équipe en charge de la rubrique : Causerie avec la douane. Sans détour, cette confusion a inévitablement dilué l’impact de l’annonce principale et offre une image brouillée d’une institution tiraillée entre la modernité économique, le conservatisme moralisateur et les pratiques de corruption.
En quoi l’AGD s’arroge-t-il le droit d’interdire ou de confisquer les objets à caractères pornographiques ?
Cette question constitue le fond du débat et met le code douanier haïtien face au concept de la pornographique. Sur le plan juridique l’AGD s’appuie sur les articles 42 et 304 du code douanier comme fondements à cette mesure. Si l’article 42, en son alinea 3, interdit l’importation de marchandises de toute nature contraire aux bonnes mœurs ; l’article 304 autorise la confiscation des marchandises prohibées et des amendes pour les contrevenants. A ce titre, on est en droit de se demander si les objets à caractères pornographiques sont des marchandises prohibées.
Qu’est-ce qu’une marchandise, en droit douanier ? Que veut dire « les bonnes meurs » en droit ? C’est quoi la pornographie ?
La notion de marchandise est très difficile à cerner du fait qu’elle n’est pas définie de manière exhaustive dans les textes légaux spécialisés comme le Code des douanes. L’on retient quand même que les marchandises sont les produits appréciables en argent et susceptibles, comme tels, d’être l’objet de transactions commerciales. Telle que précisée, cette définition englobe tout bien tangible ou intangible pouvant faire l’objet de commerce. Toutefois, ne sont pas considérés comme des marchandises les bagages personnels non commerciaux lors même qu’ils restent soumis au contrôle douanier. Aussi, un bien personnel (sextoys ou non) dépourvu de toute finalité commerciale ne devrait pas tomber sous le régime de l’article 42. Mais, et s’ils sont de nature contraire « aux bonnes mœurs »
Les bonnes mœurs (boni mores), une notion étroitement liée avec le droit. Seul, le substantif ‘’mœurs’’ se trouve à dix mille lieux du champ juridique. Il devient symptomatique du lexique juridique en y ajoutant le qualificatif ‘’bonnes’’. Aussi lira-t-on qu’elle [la notion des bonnes mœurs], puisant ses racines dans le droit romain, désigne l’ensemble de règles de conduite socialement acceptées. Ou encore, un ‘’ensemble de règles imposées par la morale et auxquelles le parties ne peuvent déroger par leurs conventions’’ (Capitant). Elle devient donc un concept juridique fluide, variant dans le temps et dans l’espace. Initialement conçue pour protéger l’ordre social, elle est devenue au fil du temps un outil de contrôle moral. Dans le contexte haïtien contemporain, les bonnes mœurs restent délibérément indéfinies dans les textes de loi. Aussi, son interprétation en droit douanier conduit automatiquement à se demander : où s’arrête le simple objet et où commence l’objet pornographique ? Est-ce contraire aux bonnes mœurs de posséder un objet personnel procurant du plaisir personnel dans le cadre sa vie privée ? Peut-on assimiler l’importation ou la possession d’un tel objet (dépourvu de toute transaction commerciale future dans le but d’obtenir un profit) à un acte pornographique?
En effet, au sens large ou selon une approche plus libérale que restrictive, la pornographie est définie par son intention première de d’exciter sexuellement et par son caractère explicite de représentation (cas de vidéos, magazines, etc…). La pornographie réside plutôt dans un acte et/ou une action et non un objet, une marchandise. Aussi, le cadre conceptuel se précise et permet de retenir trois (3) éléments :
L’intention : produit dans le but principal d’exciter;
Le contenu : représentation explicite d’actes sexuels ;
Absence de valeur scientifique ou éducative : dénoué de tout usage thérapeutique (sexothérapie) ou application médicale (rééducation du périnée après un accouchement), n’est pas considéré comme outil éducatif etc.
Aussi, l’assimilation d’un sextoy, objet matériel pouvant avoir des usages thérapeutiques ou relevant de l’intimité d’un couple, à de la pornographie ou à une atteinte « aux bonnes mœurs » résulte d’une interprétation maximaliste du code. Aujourd’hui, certains pays comme la France ont abandonné le délit aux bonnes (1994). Au juriste R. GARRAUD de conclure dans son Traité de Droit pénal, 3e éd. Paris 1924, dans l’outrage aux bonnes mœurs, l’auteur du délit n’apparait pas de prime abord ; ce qui outrage les mœurs du public, ce sont les imprimés, dessins ou gravure que l’on met sous ses yeux : C’est ici la publication et la propagation qui font le délit.
En guise de conclusion
L’Etat, par ses organes, détient la prérogative d’accepter sur son territoire des objets, produits ou tout autre équipement tendant à corrompre les mœurs. Et l’AGD, avec sa mission de protection, constitue l’un des bras pour la mise en exécution et de concrétisation de cette prérogative. Par contre, l’AGD doit se rappeler qu’elle se trouve à la croisée des chemins et qu’elle doit jouer un rôle important dans la lutte contre ce mal qui ronge le pays : l’insécurité. Elle doit, par ailleurs, décider soit de se perpétuer une image d’administration archaïque et corrompue, soit embrasser son rôle d’acteur économique moderne appelé sécuriser les échanges et la collecte optimale des recettes ; sans se départir ou négliger ses autres missions.
Aux techniciens et dirigeants de l’AGD, il convient de souligner que la lettre de la loi ne doit pas ignorer l’esprit du temps. Une administration douanière moderne se juge à sa capacité à faciliter les éléments légitimes tout en luttant contre les trafics nuisibles à l’économie et à la sécurité nationale. Toute focalisation sur éléments dont l’impact socio-économique est négligeable, peut être perçue comme un anachronisme qui nuit à la crédibilité de l’institution.
A mes amis et camarades (panelistes et responsables), je dirais que l’initiative de communiquer aux citoyens et contribuables, en particulier, est louable et revêt d’une importance capitale. La causerie ne doit pas s’arrêter là. Toutefois, elle devrait être un moment de célébration de la performance et une présentation de succès story. Pour relever les défis, il est donc opportun de :
Réformer la communication institutionnelle, en hiérarchisant les informations avec des messages principal, secondaire et tertiaire. Adopter la tactique : one event, one message.
Créer des supports dédiés de présentation (simple et accessible) avec des données chiffrées
Adopter une autre posture de présentation avec au moins une personne en avance faisant office de porte-parole;
Réserver les causeries pour des annonces stratégiques (présentation de plan stratégique, d’innovations technologiques pour faciliter les échanges, des accords signés, des partenariats public-privé…)
Par ailleurs, il convient aussi de remédier au flou juridique du code par l’adoption de notes règlementaires précisant, sans interpréter, les dispositions du code douanier. A ce titre, lister les produits interdits, prohibés et mettre en place une approche par les risques. Quels sont les produits qui restent plus risqués (sur les plans économique, de protection, etc.).
Les 12 milliards de gourdes collectés en un mois sont la démonstration flagrante du travail accompli par les agents sur le terrain et d’une vision stratégique claire. Il est donc crucial que la communication de l’institution reflète cette performance. Que l’expertise douanière des techniciens et responsables arrive à trouver et à maintenir l’équilibre entre respect de la loi et adaptation à la réalit.
Me Rostonn BRUTUS



