jeudi, novembre 20

Par Fritz M. Clairvil

20 Novembre 2025

Le 18 novembre 2025, dans la chaleur de Willemstad, à Curaçao, l’équipe nationale haïtienne de football a renoué avec la grande histoire. Les Grenadiers ont dominé le Nicaragua (2–0), grâce aux buts limpides de Louicius Deedson et Ruben Providence, offrant à Haïti sa première qualification pour la Coupe du Monde depuis 1974. Cinquante et une années d’attente, de doutes, de luttes — balayées par une explosion de joie nationale.

Mais derrière l’exploit sportif se dissimule une vérité profonde : cette qualification porte la marque d’Haïtiens nés hors du pays, formés ailleurs, élevés dans un autre environnement — bref, de la Diaspora.

Une Diaspora souvent rejetée, mais toujours indispensable

L’histoire d’Haïti et celle de sa Diaspora ne peuvent être dissociées. Depuis des décennies, alors qu’elle est trop souvent marginalisée politiquement ou socialement, la Diaspora continue d’être l’un des moteurs les plus puissants du progrès haïtien. Les transferts financiers représentent plus de 25 % du PIB, un niveau parmi les plus élevés au monde selon la Banque mondiale.

Mais la contribution ne se limite pas à l’économie.
Elle est humaine, culturelle, sportive, intellectuelle.

Je pense ici à mon ami, le Dr. Daniel Faustin, gynécologue-obstétricien, dont la fille Nadine Faustin Parker, née en Europe, a reçu un passeport haïtien pour représenter Haïti aux Jeux Olympiques.
Lorsque Nadine franchissait les haies, c’est Haïti qu’elle élevait avec elle.

Je pense aussi à Naomi Osaka, grande championne mondiale du tennis, dont les racines haïtiennes sont devenues une fierté planétaire. Osaka a hissé notre drapeau dans les plus grands stades du monde, souvent plus haut que n’importe quel officiel ne l’aurait osé.

Bien avant cela, le chanteur Wyclef Jean, l’un des artistes haïtiens les plus influents de sa génération, a brandi le bicolore haïtien sur les scènes internationales — des Grammy Awards à la Coupe du monde, aux côtés de l’incontournable Shakira.
Ces icônes mondiales n’ont jamais cessé d’affirmer avec force : Haïti est en moi.

Autrement dit, lorsque la Diaspora brille, Haïti brille.
Et lorsqu’Haïti brille, c’est souvent grâce à sa Diaspora.

Une équipe nationale façonnée par l’exil

Le onze national qui a fait vibrer Haïti n’est pas seulement une équipe de football : c’est le visage même de la modernité haïtienne. Une génération d’athlètes issus de Paris, Montréal, New York, Santiago, Miami ou Bruxelles. Des jeunes qui ont appris à jouer dans des centres d’entraînement que l’État haïtien ne peut plus offrir — et qui ont pourtant choisi, en toute conscience, de porter le bleu et le rouge.

Ils ont choisi d’être Haïtiens.
Ils ont choisi d’assumer une responsabilité que le pays ne leur a pas toujours facilitée.
Ils ont choisi de défendre un territoire où ils ne peuvent souvent ni voter, ni participer pleinement à la vie politique.

Cette réalité ne peut plus être ignorée.

Une hypocrisie nationale : applaudir la Diaspora le soir, l’exclure le matin

Haïti souffre d’un paradoxe moral récurrent :
nous applaudissons la Diaspora quand elle gagne, mais nous l’excluons quand elle veut participer.

Lors du séisme de 2010, celui de 2021, des ouragans Jeanne ou Matthew, c’est la Diaspora qui a servi de premier répondant, avant même les institutions.
Lors des crises politiques, c’est encore la Diaspora que l’on supplie d’intervenir, de financer, d’informer, de mobiliser.

Mais lorsqu’il s’agit de voter, de se présenter à des fonctions publiques, de participer à la gouvernance, on lui oppose une méfiance institutionnalisée.

Cette contradiction est devenue indéfendable.

Haïti au bord du gouffre, mais riche de ses enfants dispersés

Le pays traverse une crise politique, sociale et sécuritaire sans précédent : effondrement de l’État, gangrène de l’insécurité, exode massif, perte de souveraineté.
Et pourtant, jamais Haïti n’a disposé d’autant d’enfants compétents, informés, instruits, formés dans les meilleures institutions du monde.

Jamais une génération haïtienne n’a été aussi nombreuse à briller aux quatre coins du globe.
Dans les hôpitaux, les laboratoires, les universités, les stades, les musées, les salles de concert — partout, la Diaspora fait rayonner un pays qui peine à reconnaître ses enfants.

La qualification des Grenadiers n’est pas un simple événement sportif : c’est une démonstration éclatante de ce que les Haïtiens peuvent accomplir lorsqu’ils ne sont pas bridés par la violence, la pauvreté ou l’exclusion politique.

Une victoire sportive, mais surtout un avertissement historique

Haïti ne peut plus se permettre de célébrer les exploits de ses enfants nés à l’étranger tout en leur refusant un rôle dans la reconstruction nationale.
Haïti ne peut pas continuer à brandir leur réussite tout en niant leur citoyenneté.

La victoire des Grenadiers doit marquer un tournant :
celui de l’inclusion politique, de la reconnaissance de la double nationalité, de l’ouverture du vote à l’étranger, de la fin des barrières artificielles qui humilient une population pourtant essentielle à la survie nationale.


Conclusion

Le football nous rappelle une vérité fondamentale : Haïti est grande lorsque ses enfants sont unis — où qu’ils vivent.
Les Jeux Olympiques nous l’ont rappelé.
Les Grammy Awards nous l’ont rappelé.
La Coupe du Monde nous le rappelle aujourd’hui.

La Diaspora n’est pas une marge : elle est un pilier.
Elle n’est pas un soutien ponctuel : elle est une force permanente.
Elle n’est pas un problème politique : elle est une partie intégrante de la solution.

La victoire des Grenadiers doit nous conduire à une seule conclusion :
Haïti ne se reconstruira qu’en réconciliant toutes ses terres, toutes ses voix, toutes ses générations.

Fritz M. Clairvil

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