samedi, mai 24

Plus de deux semaines sans électricité dans la capitale. Ce n’est plus une panne, c’est un effondrement. Dans les rues de Port-au-Prince, les moteurs de génératrices rugissent encore là où il reste un peu de carburant. Ailleurs, c’est le silence, l’arrêt, la résignation. Car au cœur de cette obscurité prolongée, c’est tout un tissu économique qui se détériore, un peu plus chaque jour.

De Delmas à Carrefour, de Pétion-Ville à Cité Soleil, les petits commerces sont les premiers à en faire les frais. Les poissonneries ferment, les boutiques de glace se vident, les salons de beauté perdent leur clientèle, et les cybercafés restent portes closes. Une coiffeuse à Lalue confie : « Mwen pèdi tout randevou m yo. San kouran, se tankou m pa egziste. » Dans une imprimerie à Nazon, le propriétaire soupire : « M ap depanse plis nan gaz pase nan salè anplwaye yo. Sa pa fè sans. »

Les pertes s’accumulent, les marges fondent. Les petits entrepreneurs, qui sont l’ossature du commerce local, n’ont pas les moyens d’absorber un tel choc. Et pendant ce temps, aucune autorité n’est venue expliquer, rassurer, encore moins proposer une solution durable. L’instabilité énergétique, déjà chronique, a franchi un nouveau cap. Celui de l’asphyxie.

L’impact est aussi visible dans le secteur informel, pourtant pilier de l’économie haïtienne. Les marchandes qui dépendent des frigos pour conserver leurs produits perdent tout. Les tailleurs, les soudeurs, les mécaniciens, tous sont forcés de ralentir, voire d’arrêter leur activité. La circulation de l’argent diminue, les clients se raréfient, et l’angoisse monte.

Cette panne prolongée, dans un pays où la majorité survit au jour le jour, n’est pas qu’un désagrément. C’est un frein direct à la production, à la distribution, à la consommation. Les conséquences se ressentiront sur plusieurs mois. Certains ont déjà vidé leurs économies pour acheter du carburant ou des batteries. D’autres ont tout simplement fermé boutique.

On parle souvent de relancer l’économie nationale. Mais comment parler de développement sans énergie ? Comment attirer des investisseurs dans une ville qui reste dans le noir plus de deux semaines d’affilée ? Comment espérer un redémarrage sans courant pour alimenter les machines, les frigos, les ordinateurs, les terminaux de paiement, les feux de circulation ?

Ce blackout prolongé n’est pas une simple crise électrique. C’est un révélateur brutal de nos faiblesses structurelles. Une capitale sans courant, c’est une économie en panne. Et tant qu’on n’affrontera pas sérieusement ce problème, tout discours sur la relance restera une illusion.

Il ne suffit pas de survivre. Il faut créer, produire, innover. Et rien de cela n’est possible dans l’obscurité. Le courant ne peut plus être vu comme un luxe réservé à quelques quartiers privilégiés. C’est un droit. Et sans ce droit, Port-au-Prince continuera de sombrer… en silence.

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